Ne jamais s’attacher.

Ca se passe pendant une garde en chir, en février. Mme O. est annoncée par l’IAO (infirmière d’accueil et d’orientation) comme hématémèse. « Elle n’est vraiment pas bien, ce serait bien que tu ailles la voir vite ».

Mme O est en sueurs, mais elle parvient à me dire calmement qu’elle est VIH+, elle a apporté toutes ses ordonnances, connaît son traitement et sa maladie parfaitement bien. Elle est régulièrement suivie, « mais n’a jamais été hospitalisée en maladies infectieuses, touchons du bois ! » dit-elle, presque avec humour.

Elle vomit depuis avant-hier. Bon ce sont plutôt des saignements en fin de vomissement qui strient les aliments pré-digérés.

Après quelques questions, elle me dit qu’elle est venue il y a 3 jours aux urgences pour des cervicalgies. Pas d’imagerie, repartie avec des antalgiques et des MYOLASTAN (r). Je lui demande si ça va mieux, si les médicaments ont agit. « Non, ça ne va pas mieux du tout, maintenant j’ai aussi mal à la tête. D’ailleurs peut-être c’est ça qui me fait vomir. » Je lui ai répondu un truc du genre « j’espère pas. »

Après le boulot d’externe (antécédents, traitement, suivi, allergies, pression artérielle, fréquence cardiaque, saturation, qui étaient bonnes), je commence l’examen clinique. Merde, une raideur nucale. Je vais chercher le thermomètre, et en partant j’éteins la lumière de la chambre, « ça va mieux dans le noir ? » « oui docteur, d’ailleurs je reste dans le noir chez moi ». OK. Je reviens : 39°. OK. Donc mon hématémèse, c’est plutôt un syndrome méningé fébrile chez une immuno-déprimée. Je finis l’examen clinique, vérifiant mille fois tous les plis et replis de la peau à la recherche de purpura, tout en essayant de garder mon calme, pour moi, mais aussi pour ma patiente, qui commence à paniquer, vu que je commence à m’attarder.

Je prescris la bio, les hémocultures, la BU/ECBU, le scanner cérébral (peux pas prescrire la ponction lombaire, j’ai pas le droit). Comme il y a 10 patients derrière elle qui n’ont pas encore vus les chefs, j’en intercepte un pour lui expliquer la situation. Je soudoie l’infirmière pour qu’elle vienne faire le bilan d’abord à elle. Le téléphone sonne. C’est le scanner, on peut la faire descendre. Aucun brancardier à l’horizon, « bah c’est l’heure de leur pause là ».

Comme ça m’énerve de les attendre, je prends le brancard de Mme O, et je l’emmène au scanner tout seul. Sur le chemin on parle. Elle me raconte son suivi en dermato, puis en maladie infectieuse, qu’elle a contracté la maladie suite à une transfusion en Afrique. Je lui demande comment ça se passe dans la tête, le moral. Ca va moyen, elle n’aime pas trop la nouvelle médecin qui la suit. Elle a peur d’être hospitalisée. Je reste avec elle derrière la vitre du scanner. J’en profite pour regarder les images. Rien d’ « anatomique » en tout cas. Je sais pas ce que j’aurais préféré.

Je la remonte et je lui explique la PL. Elle a déjà été aide-soignante, alors elle connaît. C’est l’interne (grrr) qui fait la PL. Mme O est complètement paniquée, alors, tant pis, j’en ai vu mille des PL et j’en ai déjà fait, je vais devant lui prendre la main. On parle de tout et de rien, elle a arrêté d’être aide-soignante car elle avait peur de transmettre sa maladie. Elle veut continuer à travailler dans le social, c’est ça qui lui plaît. Elle a enchaîné plusieurs boulots, mais c’est difficile en ce moment. Pourtant elle est très observante, elle n’a raté aucune consultation chez la médecin spécialisée, même si elle ne l’aime pas trop.

Mon interne lui trouve une place. En maladies infectieuses. Bien sur, c’est mieux pour elle, les infectios de cette unité sont spécialisés VIH en plus. Mais bon c’est un tournant dans l’histoire de la patiente. Mon interne va lui annoncer. Mme O ne veut pas être hospitalisée. Je retourne la voir. Je lui explique. Je négocie. Ca va mieux. Je la laisse réfléchir et mûrir la proposition.

Je vais voir d’autres patients en attendant.

Entre deux patients, je vois les brancardiers sortir son brancard de sa chambre. Elle a finalement accepté. J’ai tenu à lui dire aurevoir, lui souhaiter les meilleures choses du monde. Elle voulait que je reste avec elle je lui ai dit que ce n’était pas possible, il y avait d’autres patients à voir. Mais qu’elle allait voir d’autres médecins qui s’occuperont d’elle encore mieux que nous, aux urgences.

Je voulais aller la voir en maladies inf le lendemain. Et là je me suis dit : non. Cette relation dépassait complètement l’empathie. Si mme O mourait ou s’aggravait, cela aurait influé sur mon travail en stage, sur mon moral et sur mon travail de bouffeur d’items. Je m’attachais trop à cette patiente, et c’était pas bon. La relation médecin-malade pour moi, c’est pas ça. C’est moins que ça.

Avec le temps, je me dis que je n’ai pas du tout été professionnel. J’ai même été délétère pour la patiente à être trop humain avec elle.

Je n’ai jamais été très humain, très proche des patients, je n’ai jamais été plus affecté que ça par la mort d’un de mes patients. Mais là, j’ai du me poser des limites. Je suis retourné le lendemain en stage, sans en parler trop, sans chercher à avoir de nouvelles, je n’en ai toujours pas d’ailleurs, je ne sais pas ce qu’elle est devenue.

Ne pas s’attacher. Bah en fait c’est difficile. On voudrait faire n’importe quoi pour ses patients à qui il arrive les choses injustement, se battre pour eux et avec eux.

Je vous mets une chanson sympa qui colle bien, un mélange de nostalgie et d’impuissance. Bonne écoute. Et chialez pas !