Ma décision est prise.

Je reblog un article posté sur mon tumblr, parce que je l’aime bien finalement, et puis pour que vous puissiez comprendre où j’en suis.

Dimanche, 18h12. J’appelle ma mère, les corrigés du concours blanc rayés de rouge, sur mon bureau devant moi.

J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas. Un aller sans retour, quelque chose d’irréversible et de non soulageable, une culpabilité longue et douloureuse.

J’ai baissé les bras. Depuis un mois, je ne travaille que moyennement. Le problème, c’est toujours le même : la lente et longue mais incessante dérive inatteignable, le réveil lucide trop tardif.

J’ai arrêté les cas clinique mi-décembre pour finir de voir une fois tous les items avant le concours blanc, et avant le CSCT (certificat de synthèse clinique et thérapeutique, mon dernier examen avant les ECN, l’examen qui me permet de valider ma D4). Je me suis contenter de lire mes fiches d’items, “simplement”. Trop de retard. Trop de panique. Je me laisse porter par les vacances de Noël. Je passe le temps, reprends la guitare, twitte trop, me réinscris sur facebook, baise à tout va…

J’ai tellement honte de ma note à ce concours blanc Hippocrate. Des PMZ dans tous les coins, des zéros à des questions FACILES. L’impression d’avoir un peu réussi, mais en fait pas du tout. De toute façon, je riais devant mes sujets tellement j’avais l’impression d’être mauvais. J’étais ridicule. Dérisoire. C’est normal de ne pas s’en sortir au premier concours blanc. Ca l’est moins au deuxième. Inavouablement pire.

Je n’ai pas pleuré pas au téléphone, ni après. Je suis un mec, bordel. Il me reste à présent 10 jours pour réfléchir. Peser les pour, les contre. 20 ou 72 semaines de révisions. Tenir jusqu’au bout ou non. En fait, ma décision est prise. Largement.

Et depuis, ça va beaucoup mieux.

Depuis, je m’y suis remis à fond. Je travaille sans pression, je maintiens mon rythme à 10 cas cliniques par jour, de début d’année. Heureux d’aller en stage. Rien à foutre de voir ces notes minables aux dossiers.

Je ne sais pas qui ou quoi accuser. Moi, en premier. Mon stage en chirurgie pédiatrique, peut-être. Mes lacunes passées, sûrement.

Vendredi, 00h26. Le cap n’est pas officiellement franchi, mais il l’est dans ma tête. Je redouble ma D4.

J’ai découvert Clock Opera dans la compilation 10 du label Kitsune. C’est sur l’excellent blog des B-sides que j’ai pu regarder le clip, qui est vraiment pas mal.
Clock Opera – Once and for all.

On est finalement bien seuls.

Ce qui est intéressant mais si difficile, en médecine, c’est qu’on apprend à être fort. Mentalement. Et même quand on croit être fort, on ne l’est pas assez. J’ai mis du temps à écrire cet article. Ca fait longtemps qu’il est dans mes brouillons, et finalement je me lance pour cicatriser un peu. On va voir.

On a beau travailler en équipe, on se retrouve isolé. Moralement. Pourquoi ça ? Parce que PERSONNE ne saura. Non, personne ne peut ressentir ce que ça peut être de perdre un patient, de se sentir humilié et mauvais en conf, de faire des dossiers et de voir que les notes stagnent à 40, de dire à Mme A, 38 ans, mariée, 3 enfants en bas âge, que sa douleur au ventre c’est un cancer méchant, qui a métastasé un peu partout. Personne ne peut savoir ce qu’il se passe dans ma tête quand la chir te dit que tu n’es bon à rien, qu’on te dit en staff « il manque un cliché là ». Et que 5 chirurgiens dont la chef de service, les internes, les externes, la cadre, les chefs IDE, les étudiants IDE te regardent et attendent pendant que tu fais tomber les 1000 radios par terre. Personne n’a su ce que j’ai ressenti quand on m’a fait comprendre que j’étais passé à côté d’une hémorragie méningée aux urgences.

Quand on commence médecine, personne ne sait ce qu’il y a derrière le concours. Personne ne sait ce qu’on voit en stage. On voit des trucs, on ne peut pas en parler, et même si on en parle, les autres ne comprennent pas. Relever un SDF en PLS dans la salle d’attente des urgences, te prendre un coup de poing d’un papy schizophrène, avoir les mains pleines de diarrhée, ventiler une patiente intubée pendant 45 minutes, découvrir que ta patiente est en arrêt à ta garde de Noël.

Personne ne vivra ce que j’ai ressenti en voyant cette enfant de 3 ans. C’était une opération simple, une simple endoscopie, les anesthésistes ne l’avait même pas intubée.

Au bout d’une heure d’intervention, elle commence à dé-saturer. Les anesthésistes nous disent de ne pas nous arrêter, augmentent l’oxygène, puis finalement l’intubent. Ca ne s’améliore pas.

Elle passe rapidement en mydriase, la saturation est au plancher, et puis on constate une énorme masse au niveau du ventre qui n’existait pas au début de l’intervention.

On s’arrête, les chefs appellent la réa néo-nat, font une échographie du ventre, elle a un épanchement intra-péritonéal. On fait une radio, tout le monde se déstérilise, les anesthésistes posent une voix centrale pour passer des antibiotiques. Deux chefs et l’interne vont se relaver les mains en vitesse pendant que l’infirmière de bloc prépare les boîtes de laparotomie. J’essaie d’aider comme je peux mais c’est difficile de savoir quoi faire. J’essaie de raconter ce que j’ai compris à l’interne de réa. L’interne de chir me fait signe que c’est pas la peine de m’habiller.

C’est tellement horrible de se sentir impuissant, de ne pouvoir rien faire parce qu’on ne sait rien faire, faire des micros-trucs style brancher le bistouri électrique, donner la bétadine dans les cupules, sortir des gants (heureusement que je connaissais la taille de tout le monde).

A l’incision péritonéale, on s’est bien reçu 3 litres de glycocolle sur les pieds. Elle a fait un syndrome de résorption. Sa natrémie est à 118 mmol/L (normales 135-145), pas réveillable, toujours en mydriase. Pas de lésion urétérale mise en évidence à la laparo, les chirs vident le péritoine, lavent et referment.

J’ai demandé quelques infos à P., l’interne -géniale et super compétente- qui était là. Au niveau vital, ça devrait aller. Au niveau neuro, il faut attendre le réveil. Bien sûr, il y aura des séquelles. Lesquelles, on ne sait pas encore.

J’ai eu beau faire mon fier, mon fort, je suis retourné à la fac, et je suis allé me cacher dans les chiottes pour pleurer. C’est la première fois que je pleure pour un patient. J’arrivais plus à m’arrêter. J’étais là, seul, à me moucher dans du pq, à me dire que j’étais idiot de chialer comme un gros con, que cette petite je ne la connaissais pas, que j’avais rien fait et que ce n’était pas ma faute, alors arrête de pleurer mike. Même maintenant, j’arrive pas à en parler normalement. Je suis bêtement en train de ravaler mes larmes en écrivant cet article. Vraiment pas fort le mike.

J’ai pris des nouvelles le lendemain. Elle n’était pas réveillée, la natrémie remonte mais n’est pas normalisée. Je n’en ai plus pris après. J’avais tellement peur d’entendre ce que je n’aurai jamais voulu entendre. Je ne sais même pas ce qu’elle est devenue cette gamine. Je ne veux pas savoir. J’ai l’impression d’être horrible en disant ça. Je crois qu’on se protège.

Et je me dis qu’on est finalement bien seuls.